"Quelques amis bien intentionnés tentèrent de me détourner d’une expédition, au demeurant fort hasardeuse, et m’engagèrent vivement à rester au logis. On fit miroiter à mes yeux les plaisirs les plus attrayants. Un jour je rangerais dans des armoires des lessives embaumées, j’inventerais des marmelades et des coulis nouveaux ; le lendemain je dirigerais en souveraine la bataille contre les mouches, la chasse aux mites, le raccommodage des chaussettes. Deux fois par semaine j’irais me pavaner à la musique municipale. L’après-midi serait consacré aux sermons du prédicateur à la mode, aux offices de la cathédrale et à ces délicates conversa- tions entre femmes où, après avoir égorgeaillé son prochain, on se délasse en causant toilettes, grossesses et nourrissages. Je sus résister à toutes ces tentations. À cette nouvelle on me traita d’originale, accusation bien grave en province ; mes amis les meilleurs et les plus indulgents se contentèrent de douter du parfait équilibre de mon esprit."
Jane Dieulafoy, La Perse, La Chaldée, La Susiane
« Les fouilles A du palais se continuent dans de meilleures conditions. Les membres de taureaux accouplés, appartenant aux chapiteaux bicéphales, ont été trouvés et amenés sur le sol à l'aide de crics. De longtemps je n'oublierai la mine ahurie des Dizfoulis devant ces engins. Nos hommes en étaient arrivés à perdre la notion des poids; sans de minutieuses précautions et une continuelle surveillance, ils se seraient fait broyer. Les fragments sont assez nombreux pour que l'on puisse, par la pensée, reconstituer l'animal gigantesque qui couronnait les colonnes. Voici le ventre couvert de poils frisés, les lourds genoux de la bête; un collier, orné de marguerites et d'une fleur de lotus en guise de pendeloque, entoure le cou. La base, le fût, le chapiteau atteignaient vingt-deux mètres de hauteur. A coté d'une base gît la tète du monstre. Elle rappelle celles qui terminaient les
chapiteaux dont on a retrouvé l'image sur la façade rupestre des hypogées achéménides. L'extrémité du museau, ainsi que les cornes, les oreilles, signalées par de profondes mortaises, manquent encore. Ces sculptures, exécutées dans un calcaire noir au grain très lin, éveillent l'idée d'un art décoratif puissant et d'une technique avancée. Des tailles heureusement diversifiées mettent en relief certains muscles, estompent les autres et donnent au marbre des tons dont les différences, inappréciables dans l'ensemble, enlèvent a la masse des colosses toute monotonie. Le hasard est-il une seconde Providence? Ces monstres de dure matière se sont brisés en mille pièces lorsque les palais s'écrasèrent dans la poussière, et, sous leurs débris, tombés presque du ciel, apparaissent des poteries intactes. »
Jane Dieulafoy, Journal des fouilles
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ᐳ Les découvertes des Dieulafoy sur le site du Louvre
ᐳ Les albums photographiques de Jane Dieulafoy sur le site de l'INHA
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ᐳ Un documentaire sonore sur Marcel et Jane Dieulafoy sur le site du Louvre
ᐳ L'émission sur Jane Dieulafoy sur France Bleu "La France : toute une Histoire - Jane Dieulafoy, pionnière française de l'archéologie"
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ᐳ A Suse, Journal des fouilles 1884-1886 de Jane Dieulafoy
ᐳ La Perse, la Chaldée et la Susiane de Jane Dieulafoy