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France Culture / Guillaume Dustan [1965-2005] "Parce que je suis : libre"
Guillaume Dustan, écrivain de la transgression
Journée d’étude - Université Paris-Diderot - mardi 28 mai 2019
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Article dans Libération "Mon coeur est mort [pour Guillaume Dustan]
« En attendant, moi, je constate que sur ce que je racontais à qui voulait l'entendre d!s 1997-1999 (merci Technikart que n'en pensait déjà pas loin, j'ai eu raison sur tous les sujets lourds, le dopage -même si c'est encore soit-disant en débat -, le sexe, les Arabes et les pédés et les clubbeurs, seules forces sociales motrices dans ce pays qui refusait le présent, la lutte antiennes, la prétendue gauche prête à tout pour durer même dans les années quatre vingt dix et donc à rester aux basques électorales de la fonction publique réactionnaire sclérosée qui pèse économiquement sur le pays et le décourage et n'est pas au service du public mais contre lui, la French touch qui est nulle, l'auto fiction, le quel devenu la religion alternative dans le monde entier, la drogue, dont la consommation modérée est pratiquement tolérée, l'intelligentsia homo et socialiste qui bloquait tout, ça doit être pour ça qu'on m'a remercié. »
Guillaume Dustan, Premier essai
« Cher Guillaume,
La première fois que je t’ai vu, c’était à une lecture de la performeuse Lydia Lunch au Glaz’Art. Daniel, un ami commun, nous a présentés. Il m’a dit que tu écrivais et qu’il aimait ce que tu faisais mais je t’ai trouvé trop propre sur toi, et vu le titre de ton livre, Dans ma chambre, chez POL, j’ai cru que tu faisais de la poésie. Je n’ai même pas ouvert ton roman quand tu me l’as envoyé. Puis Daniel est mort, je me suis souvenue de ce recueil et je l’ai lu. Eh bien, bonjour la poésie… Tu appelais ton autofiction de la pornofiction et on ne peut pas dire que tu exagérais. Mais je ne te prenais pas particulièrement au sérieux, comme auteur. Tu faisais partie des bouffons de ma génération, c’est tout.
Depuis quelques années, je relis tes livres. C’est une surprise. Alors comme ça, c’est toi, le meilleur d’entre nous ? Et de loin. Tu as encapsulé les 90’s. Cette France de la fin du siècle dernier, le Paris de la nuit, l’état d’esprit, les objets, les habitudes – ça remonte d’entre tes pages. Tout y est. Mauvaise humeur, consumérisme qu’on croyait cool, techno, jouissances à la chaîne, Madonna, Minitel, ecstasy, obsession pour les fringues, politiques identitaires, alcools blancs et pharmacopée.
Tu écrivais des romans rapides, égocentrés, avec beaucoup de descentes. Tu n’étais pas un gars sympa, tu n’étais pas une bonne personne. Mais tu étais drôle, et tu aimais l’adrénaline. Parfois tu étais sentimental, jusqu’à l’imbécillité, ce qui t’allait bien. Te lire, c’est se retrouver collé à ta nuque, comme une caméra à la Dardenne, mais chez toi Rosetta est sérieusement détraquée. Tu étais à mi-chemin entre la pétasse adolescente décérébrée et le khâgneux militant intello. Et la grande différence entre tes livres et un texte bien gaulé mais qui manquerait de consistance, c’est la mort. Il y a ce martèlement, une ombre constante, le souffle court - tu vas crever, tu ne penses qu’à ça. Et c’est vrai. Tu vas crever, très vite.
Tu étais terrorisé. C’est seulement aujourd’hui en te relisant que je le comprends. On ignorait, alors, que beaucoup de séropositifs en France fêteraient leurs 60 ans. Vous étiez condamnés. Les gens comme moi vous côtoyaient, on pensait à autre chose, nous, on n’était pas des positifs, vous vous promeniez avec la mort comme un oiseau sur vos épaules. Et on vous demandait, évidemment, de ne pas trop faire chier avec ça. L’important c’était de danser, n’est-ce pas. Range ta terreur et vis avec, et tu faisais très bien le gars qui pense à autre chose.
Ensuite tu es devenu le barebacker. Ça n’était pas très malin, remarque, d’aller te vanter de baiser sans capote. Il est même possible que tu l’aies fait en désespoir de cause, pour qu’enfin on t’invite plus souvent à la télévision. Ton côté petite pétasse, une Paris Hilton avant l’heure. C’est que c’était moins facile pour toi que pour moi, les médias. Trop de sodomie dans ta prose, trop de merde et de litres de sperme avalés pour que tu sois un auteur subversif lambda. Avec cette histoire de bareback, tu as servi sur un plateau le bon motif pour t’ignorer. Il fallait t’interdire, t’enterrer. Tu étais l’auteur qu’on doit mépriser. Vu de loin, ça faisait mec sérieux, détesté jusque dans son camp. Autant d’hostilité valide l’oeuvre. Vécu de ton point de vue, je sais que c’était atroce.
Encore aujourd’hui, cher Guillaume, ton nom provoque de petits remous offusqués. Céline, oui, Dustan, non. Tu as payé le prix fort pour ça, mais l’unique auteur maudit, le grand absent des listes officielles, le mauvais élément passé sous silence parce que trop dérangeant – c’est toi. Les autres, tous, nous n’aurons fait que faire tourner la machine. Toi il suffisait que tu l’approches pour la faire dérailler. L’époque aura digéré tout ce qui lui passait sous la dent, sauf Dustan. Quand tu es mort, le silence a été troublant.
On ne saura jamais quel genre de vieux tu serais devenu. Tu auras toujours ta belle gueule de petite frappe insolente. Si tu voyais les têtes qu’on a chopées, nous les vivants, tu rigolerais je pense. Ce mois-ci, tes trois premiers romans sont réédités en un premier tome, chez POL. C’est un beau volume, épais, tu serais content, ça a de l’allure. Bon, pour le grand couronnement, Guillaume, je crains qu’il faille attendre un peu. L’époque n’est pas à la glorification de la baise pédé, du mauvais esprit et de la militance gay. Tu es mort depuis presque huit ans. Tu ne ressemblais pas à un écrivain français. Tu étais beau, dangereux, drogué, séducteur, ta voix était à tomber par terre de sexy. Une drôle de grimace remontait ta bouche d’un côté quand tu souriais et on ne savait pas trop si tu étais doux ou teigneux, fort ou désespéré. Tu étais excitant. Tes romans te ressemblent. C’est un plaisir de te retrouver.
À très vite, V. »
Virginie Despentes, Cher Guillaume, Le Monde des livres, 31 mai 2013
EXTRAIT DU TEXTE
« Ça fait bien quatre ans. Je l'ai rencontré par minitel. Il est venu rue de Bellefond. On s'est baisé (safe) et godé réciproquement en s'embrassant un max, c'était chaud, et puis quand je l'ai refait il était nettement plus passif, limite maso. En fait c'est moi qui l'avais poussé dans ce trip en la jouant macho dominateur, mais le résultat c'est que je m'étais senti seul.
Son visage s'ouvre. - Aaaah! T'es à Paris en ce moment ?, il fait. - Je suis rentré définitivement, je dis. - C'est toi qui as écrit un bouquin, il reprend. On en a parlé avec David, celui que tu appelles le Doc, on était en vacances ensemble l'été dernier. Ça a marché? - Ouais, je réponds, pas mal, trois mille». - Ouais, c'est pas mal, il fait. - Et toi ça va?, je dis. -Ouais, il fait.
Il y a quatre ans, il flippait pas mal sur ses T4.
Tu es de plus en plus hype, je fais.- Quoi ? (la musique est hyper-forte). Je répète, - Hype! Il n'a toujours pas compris. - Hype! Là il a compris. Il hausse les épaules avec un petit sourire. »
Guillaume Dustan, Je sors ce soir
« Je retourne danser. Et là, au bout de quelques minutes, je sens enfin que ça démarre. Je ralentis pour mieux sentir ce qui m'arrive : la détente musculaire, la chaleur, la respiration plus profonde. Ma colonne vertébrale se redresse toute seule. C'est cool. Et puis tout d'un coup ça part en flèche et J'ai envie de gerber mais je me calme en respirant tout doucement, sans bouger, et ça passe. Je ne gerbe plus jamais maintenant quand je prends de l'exta. Je maîtrise.
Et voilà le plus agréable : je me mets à sourire, d'un sourire que je ne peux pas empêcher, que je n'ai d'ailleurs pas la moindre envie d'empêcher, parce que je suis réellement content. Je me sens tellement bien. Je me retiens quand même un peu, on n'est pas à Londres. La dernière fois au Queen les mecs des chiottes faisaient carrément la gueule quand j'allais boire de l'eau, c'est vraiment ridicule.
Ça sent le pétard. Les musclemen à côté de moi sont en train d'en fumer un. Les choses ont tout de même beaucoup change en dix ans. Avant on ne fumait pas ouvertement comme ça en boîte. On va vers la légalisation c'est clair.
Bon ben voilà, j'ai chaud, je suis cool, alors j'enlève ma chemise et je m'amuse avec mon corps. Wou, wou, wou, je fais la moulinette avec les mains. Il y a encore plein de monde, donc je ne peux pas faire vraiment tout ce que j’aimerais, comme sauter en l'air ou marcher comme un canard, ou faire Linda Evangelista TM, ou rouler à mort du cul, ou faire semblant de baiser un cul imaginaire, mais ce n'est pas grave je suis content quand même.
Au moment où je commence à me dire que j'ai sérieusement soif et qu'il faudrait que j’aille boire, Tom passe à ma hauteur et me tend sa Corona. Ma bière préférée ! Je rêve... Je bois une gorgée et je la lui rends. On danse un peu l'un à côté de l'autre. Sourires. Je pense qu'il a dû gober lui aussi mais j'ai la flemme d'aller regarder ses pupilles pour en être sûr. En fait je m'en fous. »
Guillaume Dustan, Je sors ce soir